Prise de position du forum pour les droits de l’homme en Israël/Palestine sur UNRWA

Prise de position du forum pour les droits de l’homme en Israël/Palestine sur UNRWA

Cette prise de position a été publiée le 01.02.2024 sur le site du Forum pour les droits de l’homme en Israël/Palestine.

Un soutien pérenne à l’UNRWA est indispensable

Alors que l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, est actuellement critiquée de toute part, nous affirmons en tant que Forum pour les droits humains en Israël/Palestine que l’assistance qu’elle déploie dans quatre pays du Proche-Orient, à commencer par l’aide humanitaire vitale qu’elle achemine et distribue dans la bande Gaza au mieux de ses capacités, doit être préservée et garantie financièrement sur la durée.

Nous saluons les investigations ouvertes par le management de l’UNRWA sur les agissements présumés de certains de ses employés durant et autour des actes terroristes du 7 octobre sur le territoire israélien. Il est primordial pour toute organisation de s’assurer que son système de controlling interne est fiable afin de garantir sa crédibilité et le financement de son travail à long terme.

Mais nous condamnons la décision spontanée d’une douzaine de pays donateurs de suspendre leurs financements destinés à l’agence uniquement sur la base d’accusations portant sur un petit groupe de collaborateurs. 

Alors que la catastrophe humanitaire dans la bande de Gaza choque le monde entier, la suspension des financements aura une incidence sur l’aide apportée par l’UNRWA à plus de deux millions de civils – des enfants pour plus de la moitié – qui en dépendent pour survivre. Nous condamnons l’irresponsabilité de ce qui deviendrait une «punition collective» des habitant⋅e⋅s de la bande de Gaza pour reprendre les termes du directeur général de l’UNRWA, le Suisse Philippe Lazzarini. Les suspensions de financement annoncées contreviendraient en outre aux mesures conservatoires ordonnées par la Cour internationale de justice (CIJ) le 26 janvier dernier, parmi lesquelles figure la mise en place de «mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture de services de base et d’aide humanitaire aux Palestiniens de la bande de Gaza».

L’UNRWA est la plus importante agence humanitaire dans la bande de Gaza et l’ampleur de l’aide apportée par cette dernière ne peut pas actuellement être fournie par d’autres agences travaillant sur place. Rediriger les fonds vers d’autres acteurs ne saurait pallier l’effondrement du système humanitaire à Gaza qui résulterait d’une suspension des fonds alloués à l’UNRWA. La surenchère à l’œuvre dans les propos tenus par des représentants du gouvernement israélien à l’encontre de l’UNRWA est, dans ce contexte, irresponsable.

Nous saluons l’initiative de la Commission de politique extérieure du Conseil national d’inviter M. Phillipe Lazzarini pour un entretien approfondi le 25 mars prochain à Berne. Tant que le fonctionnement de l’UNRWA dans son ensemble n’est pas incriminé, la Suisse n’a aucune raison de retarder les contributions financières qu’elle s’est engagée à verser à l’agence.

Cinq raisons de ne pas laisser tomber l’UNRWA en lui retirant ses financements:

  • Les communications qui ont conduit aux suspensions de financements se référaient à quelque 12 employés de l’UNRWA qui auraient participé aux attaques du 7 octobre. Si cela est confirmé, ces derniers devront être poursuivis pénalement. Mais il s’agit de 12 personnes sur un total de 13’000 employé⋅e⋅s de l’UNRWA dans la bande de Gaza.

  • Actuellement, alors qu’ils sont victimes des bombardements incessants de l’armée israélienne, «deux millions de civils à Gaza dépendent de l’aide critique de l’UNRWA pour leur survie au quotidien.» Ce sont les mots du Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres.

  • Dans les faits, il n’y a pas d’alternative à l’UNRWA à court et moyen terme pour assurer l’acheminement massif d’aide humanitaire dont les Gazaouis ont actuellement besoin. La connaissance du terrain et les infrastructures gérées par l’agence rendent cette dernière indispensable. L’UNRWA est une agence professionnelle. Elle est pilotée par un management extrêmement rigoureux (avec le Suisse Philippe Lazzarini à sa tête) et elle est soumise à des contrôles internes et externes réguliers.

  • En temps normal et de manière générale, grâce à tous les services de base qu’elle assure, l’UNRWA contribue à la stabilité dans une région aux abois. Limiter les financements alloués à l’UNRWA, c’est donc prendre le risque d’embrasements incontrôlables dans plusieurs pays du Proche-Orient.

  • Les accusations portées contre l’UNRWA (plus que contre toute autre organisation des Nations unies) doivent toujours être considérées à la lumière des agendas politiques en temps de guerre. Une guerre se livre aussi, de part et d’autre, sur le terrain de la communication par le biais de diffamations ciblées. Seul un examen indépendant des accusations formulées permet de traiter ces dernières de manière crédible.

01.02.2024

Prise de position du forum pour les droits de l’homme en Israël/Palestine sur le rôle de la Suisse dans la guerre en Israël/Palestine

Prise de position du forum pour les droits de l’homme en Israël/Palestine sur le rôle de la Suisse dans la guerre en Israël/Palestine

Cette prise de position a été publiée le 27.10.2023 sur le site du Forum pour les droits de l’homme en Israël/Palestine.

Le travail important de défense des droits humains et de protection des populations civiles ne doit pas être entravé

Mercredi dernier, 25 octobre 2023, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) annonçait sa décision de suspendre son soutien financier à onze ONG palestiniennes et israéliennes «en raison de la nouvelle situation qui prévaut depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre et la reprise des hostilités au Proche-Orient»1 . Nous sommes convaincu.e.s qu’un tel affaiblissement d’organisations locales de défense des droits humains reconnues, actives dans la protection des populations civiles et partenaires de longue date de la DDC envoie dans le contexte actuel un très mauvais message. La préservation des droits humains est une priorité absolue compte tenu de la dernière escalade de violence. Les organisations partenaires de la DDC en Israël et dans le Territoire palestinien occupé sont régulièrement auditées et plusieurs d’entre elles ont récemment achevé un processus d’évaluation externe de leurs activités mené sur trois ans. Le rapport daté du 20 août 2023 est formel: “The evaluation team recommends that SDC continue its core support to these eight partners. These are good organizations doing excellent work.” («L’équipe d’évaluation recommande à la DDC de poursuivre son soutien de base à ces huit partenaires. Ce sont de bonnes organisations qui font un excellent travail.») [1]

La décision du DFAE de suspendre le soutien financier accordé à onze ONG locales constitue une restriction supplémentaire pour une société civile déjà soumise à de fortes contraintes. Elle peut nuire à la réputation de ces organisations de défense des droits humains expérimentées et reconnues, et entraîner des risques supplémentaires pour leurs employé.e.s. La suspension des financements annoncée par la Suisse risque en sus d’envoyer un signal négatif aux autres organisations et donateurs qui soutiennent la société civile en Israël et dans le Territoire palestinien occupé, alors même qu’il n’existe actuellement aucun élément concret pour suspendre les financements. Nous appelons le DFAE à maintenir le financement des organisations partenaires locales de la DDC auditées en Palestine et Israël tant qu’aucun motif de suspension fondé n’est induit par un nouvel audit. L’appréciation des organisations de la société civile locale doit s’appuyer sur des critères factuels standard et des évaluations sérieuses. Il n’est pas concevable que des décisions soient prises ‘ad hoc’ suite à des pressions politiques.

Un cessez-le-feu immédiat et illimité est nécessaire

Lors de ce même mercredi 25 octobre 2023, la Suisse a appelé à la protection de la population civile en Israël et à Gaza devant le Conseil de sécurité de l’ONU, mais elle s’est abstenue lors du vote sur un projet de résolution de la Russie appelant à un cessez-le-feu immédiat. Au lieu de cela, la Suisse a voté pour un projet de résolution américain qui se contentait de préconiser des «pauses humanitaires». Cela n’est pas suffisant. Face à une catastrophe humanitaire sans précédent dans la bande de Gaza, un cessez-le-feu immédiat est nécessaire. Tout doit être entrepris pour éviter de nouvelles morts de civils en Israël et dans le Territoire palestinien occupé et garantir l’accès à une aide vitale à tous celles et ceux qui en ont besoin. Nous appelons donc le Conseil fédéral à plaider avec force en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et illimité au sein du Conseil de sécurité de l’ONU

1: Lucid collaborative: «Promotion and Respect for Human Rights, Gender Equality, and International Humanitarian Law». External Evaluation of the Work of SDC Partners in Israel and the Occupied Palestinian Territories, 2021-2023.

27.10.2023

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[1] Lucid collaborative: «Promotion and Respect for Human Rights, Gender Equality, and International Humanitarian Law». External Evaluation of the Work of SDC Partners in Israel and the Occupied Palestinian Territories, 2021-2023.

Eappi évacue les accompagnateurs·trices des droits humains de palestine/israël et adapte son travail au nouveau contexte de guerre

EAPPI ÉVACUE LES ACCOMPAGNATEURS·TRICES DES DROITS HUMAINS DE PALESTINE/ISRAËL ET ADAPTE SON TRAVAIL AU NOUVEAU CONTEXTE DE GUERRE

Update du programme Palestine/Israël (EAPPI), 16.10.2024

Suite à l’escalade de la violence en Palestine/Israël début octobre, le Conseil œcuménique des Églises (COE) a évacué tous les accompagnateurs·trices œcuméniques de leurs lieux de mission à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Afin de garantir leur sécurité, ils·elles ont été renvoyé·es dans leur pays d’origine, d’où ils·elles poursuivront leur important travail de plaidoyer.

« Le programme EAPPI demeure inébranlable et opérationnel, mené par notre équipe dévouée à Jérusalem, renforcé par les Églises locales et régionales, les réseaux et les partenaires et stimulé par les témoignages directs de nos accompagnateurs et accompagnatrices œcuméniques », constate Carla Khijoyan, directrice de programme du COE pour le Moyen-Orient. Dès que les conditions permettront un retour en toute sécurité, les accompagnateurs·trices des droits humains reprendront leurs tâches sur place.

Le communiqué de presse complet du COE est disponible ici.

PORTRAIT HONDURAS 2023

PORTRAIT DE VOLONTAIRE HONDURAS 2023

Nicolas Schärmeli s’est engagé 12 mois avec Peace Watch Switzerland (PWS) au Honduras en 2022/2023. Il a fait des études en Public and Nonprofit Management et a déjà travaillé en Suisse pour diverses ONG. Dans l’interview suivante, il parle de ses expériences au Honduras, de l’échange entre les cultures et de l’importance que revêt pour lui l’accompagnement des défenseur·euses des droits humains. PDF Version

Portrait EAPPI 2023

Portrait de Volontaire EAPPI 2023

En 2022, Britta Gfeller s’est engagé durant trois mois comme observateur des droits humains en Palestine/Israël avec Peace Watch Switzerland (PWS). Auparavant, elle a travaillé plusieurs années comme journaliste, notamment dans le domaine culturel à la télévision suisse. Après sa mission, elle s’est réorientée professionnellement et commencera un stage au service de communication de l’EPER à l’automne 2023. Dans cette interview, elle nous parle de sa motivation et de ses expériences sur le terrain. PDF-Version

Portrait de Volontaire EAPPI 2022

Portrait de Volontaire EAPPI 2022

En 2022, Werner Surbeck s’est engagé durant trois mois comme observateur des droits humains en Palestine/Israël avec Peace Watch Switzerland (PWS). Avant sa retraite, il était enseignant secondaire à Spreitenbach et professeur d’allemand pour des requérant·es d’asile. Dans cette interview, il nous parle de sa motivation, de la reprise d’EAPPI après le Covid-19 et de ses expériences sur le terrain. PDF

Portraits de volontaire Honduras – 2022

PORTRAIT DE VOLONTAIRE HONDURAS 2022

Marina Bieri a effectué une mission de six mois avec Peace Watch Switzerland (PWS) au Honduras en 2021/2022. Elle a fait des études en relations internationales et en Public and Nonprofit Management. Avant son mandat, elle a acquis de l’expérience professionnelle dans le cadre de différents stages. Dans l’interview qui suit, elle parle de la motivation qui l’a poussée à s’engager avec PWS ainsi que de ses expériences au Honduras. Ici aussi disponible en PDF.

Une présence internationale pour répondre au postulat des OSC honduriennes

Une présence internationale pour répondre au postulat des OSC honduriennes

Par Marianne Widmer

Publié : à propos – Le magazine du KOFF pour la promotion de la paix – N° 175 : Amérique centrale : Résister aux obstacles croissants à la paix

Avril 2022

Carli Jeen/Unsplash

À l’occasion du processus d’apprentissage commun de Peace Watch Switzerland (PWS), de l’Entraide Protestante Suisse (EPER) et de KOFF lancé en 2016, les organisations de la société civile honduriennes ont clairement formulé leurs attentes : il faut donner davantage de poids aux actions de la société civile locale par le biais d’une présence et d’une prise de position internationale explicite sur les violations des droits humains commises par le gouvernement. Il s’agit là de l’un des rares leviers permettant de se faire entendre sur le « développement » imposé au pays : la participation des personnes impliquées à un modèle de développement qui consiste à exploiter des ressources naturelles par le biais d’investissements maximisant les profits, ce modèle étant imposé par une élite corrompue et liée au crime organisé, par des mesures d’intimidation, de criminalisation et de répression.

Début 2018, PWS a lancé le programme d’observation et d’accompagnement international des droits humains au Honduras. Il s’agit là de la réponse de PWS au postulat de l’OSC hondurienne.

PWS est physiquement présente dans les communautés rurales qui luttent contre les projets d’investissement affectant leur espace de vie. L’organisation accompagne les membres de ces communautés au quotidien, dans leurs démarches administratives, dans la formulation de leurs revendications ou dans leurs actions en justice. Elle crée ainsi un certain climat de confiance au sein des communautés. La proportion d’accompagnements judiciaires a plus que doublé au cours des dernières années. Les parties au procès, les juges et les avocat·e·s confirment que la présence physique de PWS au tribunal facilite le travail de la justice, favorisant ainsi une plus grande transparence juridique.

PWS documente ses observations et constitue une banque de données empiriques. A l’aide de différents cas concrets – PWS accompagne actuellement neuf communautés – l’organisation établit un état des mécanismes courants de violations du droit et des droits de l’homme contre une population civile rurale qui revendique la cogestion de son espace de vie. La présence physique et la documentation sur le long terme permettent à PWS d’être étroitement liée aux différents processus et de les rapporter avec précision.

En fin de compte, PWS fait partie d’un réseau d’ act·eur·rice·s qui, à différents niveaux, renforcent l’action de la société civile par un accompagnement international. Dans les cas critiques, l’organisation s’adresse aux acteur·rice·s stratégiques afin qu’iels puissent intervenir sur la base de leur documentation. Ainsi, en octobre 2020, PWS a rapporté que des leader·e·s d’une communauté qu’elle accompagne ont été victimes d’une série d’agressions et de menaces violentes, a informé la plateforme des OING et la DDC. La DDC a transmis ces informations, de sorte que PWS et les victimes puissent être invitées à une audition lors de la prochaine réunion en présence des représentations gouvernementales internationales et du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) au Honduras. Le soutien de tel·le·s acteur·rice·s disposant d’une latitude bien supérieure à celle de PWS renforce son action protectrice à la fois pour celle et ceux qu’elle accompagne et pour elle-même en tant qu’institution exposée.

Par l’encadrement consulaire de ses intervenant·e·s suisses, la DDC est un partenaire stratégique important pour PWS. Cette coopération étroite permet un échange permanent entre la DDC et PWC. A de nombreuses reprises, la DDC a pu accorder à PWS un accès décisif à la plate-forme des représentations gouvernementales internationales et au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme au Honduras. La fin de ce partenariat après 2024 constituera une perte importante pour nous et nos partenaires.

Un homme de cœur et pourtant condamné – le cas du Padre Florentino Hernández dans le sud du Honduras

Un homme de cœur et pourtant condamné - le cas du Padre Florentino Hernández dans le sud du Honduras

Par Kathrin Klöti

Sixième texte de la série « Récits d’observateurs·trices des droits humains – rétrospective » pour les 20 ans de PWS
Kathrin Klöti a effectué une mission avec PWS au Honduras de mai à septembre 2021. Elle travaille dans le secteur du tourisme et est spécialisée dans le domaine du développement durable. Après avoir débuté dans la coopération internationale avec PWS, elle travaille désormais pour Helvetas dans le domaine du tourisme d’hiver durable au Kirghizistan (Asie centrale).

J’ai rencontré le Padre Florentino Hernández pour la première fois en mai 2021. En tant qu’équipe de PWS, nous lui avons rendu visite dans son centre paroissial à El Triunfo, dans le sud rural du Honduras, près de la frontière avec le Nicaragua. Le centre paroissial tient en une maison simple avec une petite cour intérieure, juste à côté de l’église locale. Quelques chiens de rue semblaient aller et venir aussi régulièrement que les membres de la paroisse des environs. Dès le premier instant, le Padre m’a semblé être un homme humble et au grand cœur. J’ai rapidement remarqué qu’il n’avait guère l’habitude de parler de lui. Les paroisses dont il s’occupe sont sa première priorité. Le bien-être de sa paroisse lui tient à cœur et il s’y emploie tous les jours, dès les premières heures de la journée.

TÂCHES DURANT LA MISSION AU HONDURAS :
Accompagnement physique et téléphonique de communautés rurales et de leurs organisations ainsi que de défenseur·e·s des droits humains. Documentation et rapports pour le travail d’information de PWS en Suisse. Participation ponctuelle au travail de réseautage avec des acteurs nationaux et internationaux au Honduras.
Accompagnatrices des droits humains de PWS auprès du Padre Florentino Hernández. Photo : PWS 2021

Engagement pour plus de justice et de participation

Outre une sécheresse persistante, l’un des principaux défis des communautés de la région du Padre Florentino Hernández est d’avoir leur mot à dire sur le développement de leur environnement. Une société minière étrangère prévoit d’exploiter de l’or sur le territoire des communautés. Elle a d’ailleurs déjà obtenu une concession de l’État hondurien à cet effet. Ce qui peut d’abord apparaître comme une cause politique a été intégrée par le Padre dans son travail pastoral : il apprend à ses paroissien·ne·s à défendre leurs droits à être entendus et à participer aux décisions, au lieu d’être « seulement » concernés par le projet minier. Or, c’est précisément ce qui ne va pas de soi dans un pays comme le Honduras, marqué par la pauvreté, l’inégalité, la corruption et l’impunité pour les personnes avec du pouvoir. Les intérêts des communautés rurales sont notoirement ignorés et la revendication de leurs droits peut rapidement conduire à la criminalisation et aux menaces.

L’affaire judiciaire

Alors que la population locale se sent soutenue par son Padre dans ses aspirations à la justice et à la participation, ce lien fort entre la paroisse et le prêtre est une épine dans le pied des responsables de l’Église – sans doute parce que ces derniers ne sont pas totalement indépendants des rapports de force politiques et économiques dans le pays. Le diocèse a donc ordonné le transfert du Padre dans une autre paroisse. Cette décision n’a pas été acceptée par les membres de la paroisse et le Padre Florentino Hernández a lui-même refusé de quitter sa paroisse. Cela est certes légitime selon le droit ecclésiastique hondurien. Néanmoins, le refus du Padre a conduit sa propre église à l’accuser d’« usurpation de fonction ».

Ma prochaine rencontre avec le Padre a eu lieu le matin de la première audience du tribunal dans la ville de Choluteca. PWS l’a déjà accompagné sur chemin jusqu’au tribunal et, bien qu’il paraisse relativement calme et posé, il a reconnu ressentir une certaine nervosité et un certain malaise. La plupart du voyage s’est déroulé en silence, car le Padre tenait à lire quelques passages de la Bible. À Choluteca, devant le tribunal local, une foule de personnes venues d’El Triunfo pour soutenir leur Padre Florentino nous attendait : dans quelques vingt-cinq bus scolaires, au moins un millier de personnes étaient venues de la région du Padre et des communautés environnantes pour faire savoir haut et fort qu’elles voulaient qu’il continue à être un prêtre pratiquant et un homme libre dans leurs communautés.

Ce jour-là, ma collègue de PWS était présente dans la salle d’audience et je suis restée dans la cour intérieure du tribunal. Il s’agit là aussi d’une forme importante de démontrer la présence internationale : cela permet à toutes les personnes qui vont et viennent de montrer que cette affaire est suivie par PWS. La foule qui s’était déplacée pour le Padre est certes restée de l’autre côté du palais de justice, séparée par une grille. Mais les gens étaient bruyants et audibles ; leur présence ne pouvait pas passer inaperçue dans la salle d’audience. J’ai été profondément impressionnée et émue par ce rassemblement.

Le Padre Florentino Hernández devant le tribunal de Choluteca. Depuis la grille, les paroissien·e·s qui ont fait le déplacement (près de 1’000) soutiennent leur Padre lors de l'audience. Photo : PWS 2021

Lors d’une autre audience, le nombre de personnes venues le soutenir devant le tribunal a encore augmenté et le Padre a finalement été acquitté. La partie plaignante a immédiatement fait appel de cette décision. Le Padre Florentino Hernández ne s’est pas laissé intimider pour autant : ma rencontre suivante avec lui a eu lieu lors d’une manifestation contre les « Zones d’emploi et de développement économique » (ZEDE), à laquelle il a participé avec de nombreux et nombreuses membres de sa paroisse.

Accompagnement international contre la criminalisation

Rétrospectivement, je peux dire que, lors de mon engagement pour PWS au Honduras, de nombreux et nombreuses défenseur·e·s des droits humains et membres des communautés que nous avons accompagné·e·s m’ont touchée. Ils et elles m’ont tous et toutes impressionnée par leur modestie et, en même temps, par la détermination avec laquelle ils·elles défendent leurs droits et ceux de leurs communautés. Dans le cas du Padre Florentino Hernández, même sa propre institution – l’Église – s’est opposée à lui. Le courage de continuer à lutter malgré tout pour la justice à laquelle il croit lui donnera cependant, je pense, encore longtemps de la force. L’accompagnement international au Honduras est, à cet égard, d’une grande importance. Il contribue à ce que tous et toutes puissent être entendu·e·s légalement, à ce que les procédures judiciaires soient menées le plus correctement possible et à ce que la revendication de la parole ne soit pas balayée par la criminalisation.

Quand aller à l’école est dangereux

Quand aller à l’école est dangereux

Par Nicolas

Cinquième texte de la série « Récits d’observateurs·trices des droits humains – rétrospective » pour les 20 ans de PWS
Nicola sa passé 3 mois en Palestine/Israël en tant qu’observateur des droits humains de novembre 2017 à février 2018. Il est juriste de profession et travaille actuellement comme Risk Profiler au Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS). Il suit en outre un CAS en « Religion, Peace & Conflict » auprès de swisspeace.
Sur le chemin de l'école Tuq'u. Photo : PWS-EAPPI 2018
Un autre « school run » était à l’ordre du jour. Depuis près de trois mois, nous avons assuré plusieurs fois par semaine ce que l’on appelle une « présence protectrice » dans quatre à six écoles des environs de Bethléem. Les enseignant·e·s palestinien·ne·s nous ont explicitement demandé de nous rendre le plus souvent possible sur le chemin de l’école et devant les écoles. Trop souvent, les écoles et leurs alentours sont le théâtre de contrôles d’identité, d’arrestations et de violences entre les enfants palestiniens et l’armée israélienne. La présence internationale d’EAPPI a notamment un but de dissuasion afin d’éviter que de tels incidents se produisent. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.
Travail d’accompagnement des droits humains en Palestine/Israël :
Dans le cadre du Programme œcuménique d’accompagnement en Palestine et en Israël (EAPPI) du Conseil œcuménique des Églises : accompagnement protecteur des agriculteurs×trices et des écoliers×ères, monitoring de checkpoints, observation des violations quotidiennes des droits humains, coopération et échange avec les organisations de paix locales ; travail de documentation, de compte-rendu et de sensibilisation.

« Make your presence felt »

À 7h du matin, nous nous sommes rendus avec notre chauffeur palestinien à l’école primaire et secondaire de Tuq’u et avons été accueillis, comme souvent, non seulement par des enseignant·e·s et des élèves palestinien·ne·s chaleureux, mais aussi par l’armée israélienne. Les soldats israéliens avaient garé leur jeep à côté de l’entrée de l’école primaire, bien qu’il n’y ait pas de colons israéliens à protéger à des kilomètres à la ronde. Et pourtant, il y a des raisons pour lesquelles ils patrouillent presque quotidiennement devant les écoles palestiniennes. Leur devise est « Make your presence felt » : les Palestinien·ne·s doivent ressentir l’occupation quotidiennement, non seulement physiquement mais aussi psychiquement. Un sentiment que chaque enfant en Cisjordanie connaît et avec lequel il est impossible de faire autrement.

L’armée israélienne devant l’école primaire de Tuq’u. Photo : Nicolas/PWS-EAPPI 2018

C’est ainsi que d’innombrables élèves palestinien·e·s sont confrontés, avec peur, à l’occupation israélienne sur le chemin de l’école, en passant tôt le matin devant de jeunes soldats lourdement armés avec leur jeep. Beaucoup de leurs connaissances et de leurs proches ont déjà été arrêtés sur ce même chemin de l’école ou dans la cour de récréation et ont déjà vu cette jeep de l’intérieur de l’école. Les enfants sont souvent accusés d’avoir lancé des pierres. Après quelques jours de détention, ils·elles sont généralement libéré·e·s contre une caution de plusieurs centaines de francs. Les enfants ne bénéficient que de peu de droits procéduraux. Ainsi, selon le droit militaire israélien, aucun avocat n’est autorisé à être présent lors du premier interrogatoire de l’enfant.

Peu à peu, les élèves n’étaient plus pour moi des enfants palestinien·e·s comme les autres, mais des visages familiers que je me réjouissais de revoir et qui me saluaient avec des sourires, des gestes chaleureux et de nombreux « high-five ». J’ai d’autant plus souffert avec eux lorsque le personnel enseignant présent m’a informé des arrestations qui avaient eu lieu. La semaine précédente, il y en avait eu trois. Les raisons en étaient inconnues. On ne savait pas non plus où ils se trouvaient. Nous avons réitéré au corps enseignant et aux membres de la famille qu’il était possible de faire appel à l’organisation « Defence for children international » (DCI), qui offre un soutien juridique gratuit dans de telles affaires. Après une courte partie de volleyball, nous avons repris la route.

Violents affrontements

L’après-midi – sur le chemin de l’école à Al-Khader – nous avons été pris dans un violent affrontement entre des élèves palestinien·e·s et l’armée israélienne. À environ 200 mètres de l’école, nous avons rencontré d’un côté des élèves et de l’autre, deux soldats israéliens. Les deux groupes se provoquaient mutuellement par des gestes et des paroles. Le visage recouvert d’un kufiya, les élèves ont ramassé quelques pierres sur le sol et les ont lancées en direction des deux soldats. Ces derniers s’en sont amusés à distance et ont fait signe aux enfants de s’approcher, tout en pointant leurs armes sur les élèves qui s’approchaient. La situation menaçait de dégénérer.

L’école Al-Khader. Photo : Nicolas/PWS-EAPPI 2018

Moins de deux minutes plus tard, nous avons vu des dizaines d’enfants et de jeunes courir dans deux rues latérales. Deux jeeps militaires ont foncé à toute vitesse dans notre direction, poursuivant les enfants dans les rues et lançant des grenades assourdissantes. À pied, quelques soldats israéliens ont sécurisé les environs et ont pénétré dans certaines maisons. Des enfants se sont enfuis des maisons en courant, fuyant les soldats et les détonations des grenades assourdissantes. En taxi, nous sommes passés aussi discrètement que possible devant la jeep militaire et avons vu des soldats israéliens arrêter un garçon et le faire monter dans la voiture. Soudain, un soldat a lancé une sorte de bombe fumigène dans notre direction, qui a atterri sur le toit d’une voiture qui passait par là. Nous étions à cinq mètres de là. La situation devenant trop critique, nous avons quitté les lieux.

Arrestation d'un garçon près de l'école Al-Khader. Photo : Nicolas/PWS-EAPPI 2018

Possibilités et limites de l’observation des droits humains

Souvent, nous ne pouvons pas empêcher l’escalade de la violence et les violations des droits humains par notre seule présence. Dans ces situations, nous sommes à chaque fois fortement liés au principe de non-intervention. Mais nous pouvons observer, rapporter et montrer notre solidarité. Ainsi, nous rendons visite aux familles dont les enfants ont été arrêtés. Nous les écoutons et leur montrons qu’elles ne sont pas seules. Dans la mesure du possible, nous agissons comme médiateurs et médiatrices et mettons les personnes concernées en contact avec des organisations locales qui peuvent leur apporter un soutien concret et spécifique. Nous rentrons quotidiennement nos rapports dans un système qui est également à la disposition d’organisations internationales comme l’ONU ou le CICR. Nous recevons en outre des délégations internationales, rendons compte de la situation sur place et effectuons un travail de sensibilisation partout dans le monde. La communauté internationale doit savoir quelles sont les conséquences de l’occupation israélienne sur la vie quotidienne des Palestiniens et des Palestiniennes.

Quelques jours plus tard, nous nous sommes rendus pour la dernière fois à l’école primaire pour faire nos adieux. Dans deux jours, de nouveaux accompagnateurs·trices des droits humains assureront à nouveau une « présence protectrice » devant les écoles. Nous avons attendu que les enfants aient terminé leur appel matinal (chant de l’hymne national, mouvements gymniques et lecture du Coran). Nous sommes restés à côté de la porte d’entrée et avons distribué des « high-five » aux quelque 200-250 jeunes élèves qui passaient devant nous ; un bel au revoir. À ce moment-là, j’ai su que ce qui me manquerait le plus, ce serait les innombrables « school runs », les élèves et les enseignant·e·s Nous avons bu une dernière tasse de thé ensemble avant de reprendre le chemin de la maison.

Les observateurs des droits humains Nicolas et Paul avec des enseignants de l'école Al Khader. Photo : PWS-EAPPI 2018.